Crimes

L'armée malienne accusée d'exécutions sommaires dans un village peul

Plusieurs témoins ont décrit des exactions commises par un détachement de soldats maliens le 22 octobre à Liébé, dans le centre du Mali.
par Célian Macé
publié le 1er novembre 2020 à 17h26

Sinistre répétition des faits. Une nouvelle fois, l'horreur s'est abattue sur un village du centre du Mali. Vingt-quatre personnes – toutes appartenant à la communauté peule – ont été tuées par balles jeudi 22 octobre dans la localité de Liebé, proche de la frontière du Burkina Faso, selon l'association Tabital Pulaaku qui dénonce une «expédition punitive» menée par un détachement des forces de défense et de sécurité. «Le chef d'état-major s'insurge contre ces déclarations mensongères, a nié l'armée malienne dans un communiqué. Tout en reconnaissait que des opérations militaires sont bel et bien en cours dans la zone indiquée, [il] se porte en faux contre toute exaction sur les populations civiles.»

Plusieurs témoins pointent pourtant la responsabilité des militaires dans le massacre. Entre 15 et 20 véhicules des Forces armées maliennes (Fama) ont pénétré dans le village de Liébé dans la matinée, assurent-ils. Des soldats auraient rapidement ouvert le feu. Six victimes ont été ligotées, les yeux bandés, avant d’être mitraillées, selon un survivant qui a été blessé au bras. La méthode indique des exécutions sommaires, constitutives d’un crime de guerre. Les corps ont été enterrés le lendemain. Au moment des funérailles, le survol d’un avion aurait créé une nouvelle vague de panique.

Incendies volontaires

D'après le récit d'un habitant, joint par Libération, un millier de personnes étaient présentes quand l'armée est entrée dans Liebé, vers 11 heures du matin. Certains hommes, prévenus de l'avancée des troupes maliennes, avaient fui en brousse dans la nuit ou quelques heures auparavant. Une partie des villageois étaient aux champs. Une autre à la foire hebdomadaire de Baye, haut lieu du commerce dans la région. Sur place, se trouvaient surtout des femmes, des enfants et des vieillards. La moitié des victimes, selon la liste nominative publiée par l'association peule Tabital Pulaaku, avaient plus de 50 ans, un âge où l'on prend rarement les armes au Mali. Trois avaient plus de 70 ans.

Caché aux abords du village, notre témoin dit avoir vu les soldats «abattre huit personnes». Il affirme aussi que les militaires ont volontairement mis le feu aux greniers et aux habitants. Sa propre maison est partie en flamme. «Les militaires n'ont pas cherché à savoir qui est qui, précise un cadre de Tabital Pulaaku, qui a recueilli des paroles de victimes. Ils n'ont tenté d'arrêter personne, ils ont seulement tiré et tué. Même les animaux domestiques.»

«Représailles»

Pourquoi Liebé ? «La zone de Liebé est un fief jihadiste notoire, explique un bon connaisseur de la région. Une semaine plus tôt, un convoi militaire avait été pris dans une embuscade près de Sokoura, à une cinquantaine de kilomètres [l'assaut a fait dix victimes civiles et onze morts dans les rangs de l'armée, ndlr]. La hiérarchie a décidé de représailles.» Dans son communiqué l'état-major reconnaît que «du 13 au 26 octobre, plusieurs unités terrestres, appuyées par des aéronefs, ont été engagées dans le quadrilatère Liebé, Baye, Ouenkoro, Néné». L'opération, baptisée Yelema, «a été déclenchée suite à la double attaque sauvage et indiscriminée de Sokoura».

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Le communiqué des Fama indique aussi que «dans la matinée du 20 octobre», soit deux jours avant la tuerie, «une unité a été accrochée à la périphérie de Liebé par un groupe armé terroriste» mais que sa «riposte vigoureuse a permis la neutralisation de cinq terroristes ainsi que la récupération d'armes, de motos, de téléphone et de matériel de transmission».

Une enquête ouverte

Le village, qui accueille beaucoup de déplacés peuls venus des communes voisines, a-t-il été ciblé en raison d'un amalgame – récurrent – entre la communauté peule et les membres des groupes jihadistes ? Pour faire passer un message sanglant ? La katiba Macina, l'organisation la mieux implantée dans la zone, recrute en effet largement au sein des jeunes populations peules nomades. Par vengeance, leurs villages ou hameaux sont souvent attaqués par l'armée ou par des milices dozos – les «chasseurs» traditionnels des communautés dogon ou bambara. Liebé, où les insurgés islamistes sont puissants, avait déjà été visé par le passé.

La Division des droits de l'homme de la Mission des Nations unies au Mali a ouvert une enquête et a dépêché jeudi une équipe d'experts à Liebé. L'armée malienne promet également que «des enquêtes seront conduites pour mettre en lumière tout cas de dérapage avéré». Plusieurs rapports d'organisation des droits de l'homme avaient dénoncé en début d'année les exactions commises par les militaires dans le centre du Mali. C'est cependant la première fois, depuis le putsch des colonels qui ont renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août, que l'armée malienne est accusée d'exécutions extrajudiciaires massives. Ironiquement, Yelema, le nom de l'opération menée à Liebé, signifie «changement» en bambara. Mais le vrai changement serait celui d'une suite judiciaire donnée à la tuerie. L'impunité, jusqu'à présent, a été systématique pour les militaires.

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