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Tchad : Des agents du régime Habré condamnés pour torture

Vingt accusés reconnus coupables, la Cour a ordonné une réparation à hauteur de 125 millions de dollars

(N’Djaména) – La condamnation au Tchad le 25 mars de 20 agents de l’appareil répressif du régime de Hissène Habré (1982-1990) pour actes de torture est une victoire pour la justice, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. La Cour criminelle a acquitté quatre des inculpés et a reconnu civilement responsable l'État tchadien. Les condamnés et l'État devront verser 75 milliards de francs CFA (environ 125 millions de dollars ou 114 millions d’euros) en réparation aux 7 000  parties civiles.

Parmi les personnes condamnées à perpétuité figurent Saleh Younous, ancien directeur de la Direction de la documentation et de la Sécurité (DDS), la police politique de Habré, et Mahamat Djibrine dit « El-Djonto » qui était, selon la Commission nationale d’enquête de 1992, l’un des « tortionnaires les plus redoutés » du Tchad. Ils étaient également visés par les Chambres africaines extraordinaires basées à Dakar, mais les autorités tchadiennes avaient refusé de les transférer.

« Vingt-quatre ans après la fin de la dictature de Habré, et 14 ans après que les survivants aient déposé leur plainte, le verdict d’aujourd’hui et l’ordre de réparation sont des victoires éclatantes pour les victimes de Hissène Habré » a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch qui travaille auprès des victimes depuis 1999 et qui a assisté au procès. « La condamnation des responsables de  l'appareil sécuritaire de l’État pour des violations des droits de l’homme constituent non seulement un hommage à la persévérance et à la ténacité des victimes, mais aussi un événement notable dans un pays ou les atrocités restent trop souvent  impunies. »

Le régime dirigé par  Hissène Habré est accusé de milliers d’assassinats politiques et de l’usage systématique de la torture.

Cinq accusés ont été condamnés aux travaux forcés à perpétuité. En réalité, le Code pénal tchadien étant obsolète, les travaux forcés ne sont pas obligatoires et sont généralement transformés en peine de prison ferme. Le Ministère public avait requis 16 condamnations et 7 acquittements à l’encontre des 23 inculpés.

La décision lue par le Président de la Cour Timothée Yénan prévoit également que les 7.000 victimes, parties civiles au procès, obtiennent réparation à hauteur de 75 milliards de Francs CFA (environ 125 millions de dollars ou 114 millions d’euros). La moitié de cette somme doit être payée par la vente des biens des personnes condamnées et l’autre moitié doit être payée par l’Etat tchadien, déclaré civilement résponsable.

La Cour a également ordonné que le gouvernement édifie un monument pour les victimes du régime Habré et que l’ancien siège de la DDS soit transformé en musée. Ces deux mesures faisaient parties des revendications de longues dates des associations de victimes.

Lors du procès, qui a commencé le 14 novembre 2014 mais a été suspendu à deux reprises en raison d’une grève des avocats tchadiens non liée au procès, quelque cinquante victimes ont décrit les actes de torture et de mauvais traitements perpétrés par des agents de la DDS et autres organes de sécurité du régime Habré.

Le procès au Tchad se termine au moment où les Chambres africaines extraordinaires, une juridiction spéciale créée par l’Union africaine et par le Sénégal au sein de la Cour d’appel de Dakar organisent les audiences pour le procès de Hissène Habré. Ce tribunal a inculpé et arrêté Habré en juillet 2013 et le 13 février 2015, quatre juges d’instruction ont conclu qu’il y avait suffisamment de preuves pour que Habré soit jugé. Le procès devrait commencer dans quelques mois au Sénégal. 

Dans le cadre du procès à N’Djaména, les prévenus étaient accusés de meurtre, torture, enlèvements, détention arbitraire, coups et blessures et actes de barbarie. Des centaines de Tchadiens ont assisté au procès chaque jour, et un résumé a été diffusé tous les soirs à la télévision nationale. Alors que la plainte permettant le procès a été déposée par des survivants en 2000 au Tchad, l’affaire  a avancé lentement jusqu’à l’arrestation de Habré à Dakar en 2013. Beaucoup des accusés occupaient des postes clés de l’administration tchadienne jusqu’à leur arrestation en 2013 – 2014.

Parmi les condamnés figurent aussi Nodjigoto Haunan, ancien directeur de la Sûreté nationale, mis en cause dans la répression contre les membres de l’ethnie Zaghawa et Khalil Djibrine, ancien chef de service de la DDS dans le sud du Tchad en 1983-1984.

Les porte-paroles des victimes ont exprimé leur joie quant à cette  décision.

« Enfin, enfin, les hommes qui nous ont brutalisés et qui ont ri de nous pendant des décennies ont eu ce qu’ils méritaient » a déclaré Clément Abaifouta, président de l’Association des victimes des crimes du régime de Hissène Habré (AVCRHH), qui en tant que prisonnier sous le régime de Habré a été forcé de creuser des charniers et d’enterrer de nombreux codétenus. « Le gouvernement doit maintenant mettre en application cette décision pour que les victimes  obtiennent enfin réparations pour leurs souffrances et que des mesures soient prises pour que nous ne tombions pas dans l’oubli ».

Le régime à parti unique d’Habré a été marqué par des atrocités commises à grande échelle, y compris des vagues d’épuration ethnique. Des documents de la DDS découverts par Human Rights Watch en 2001, ont révélé les noms de 1 208 personnes exécutées ou décédées en détention, et de 12 321 victimes de violations des droits de l’homme. Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, date à laquelle il a été renversé par l’actuel président tchadien Idriss Déby Itno, et s’est réfugié au Sénégal où il a vécu en exile. Il a par la suite été inculpé par les Chambres africaines extraordinaires en juillet 2013 et placé en détention provisoire. 

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