Le « poop shaming » au travail : les femmes en première ligne
Dans la continuité de l’enquête sur « Les Français et le poop shaming » – cette honte d’aller à la selle dans des lieux publics – publiée en avril 2021, Diogène France a souhaité observer ce phénomène lorsqu’il survient dans le cadre professionnel.
L’étude confiée à l’Ifop met dans un premier temps en lumière la réalité peu ragoutante des toilettes en entreprise. Au mépris du code du travail, certains salarié(e)s ne bénéficient pas de WC séparés selon leur genre. Quant à l’hygiène, elle laisse manifestement à désirer : une forte proportion des personnes interrogées indiquent être confrontées à des lieux d’aisance sales, nauséabonds, mal isolés ou manquant régulièrement de papier.
Dans un tel contexte, nombre de salarié(e)s évitent quotidiennement, en usant de diverses stratégies, d’aller à la selle sur leur lieu de travail ou tentent d’y rendre leur passage le plus discret et rapide possible. En la matière, les femmes sont – comme le montrait la précédente étude – plus particulièrement affectées que les hommes.
De gros progrès restent donc à faire pour offrir à des millions de travailleurs un accès à des toilettes respectant leur dignité et leur intimité. À l’évidence sous-évaluée, cette problématique étroitement liée à des enjeux de santé publique et de bien-être au travail représente un enjeu managérial qu’il serait essentiel de ne plus négliger.
Un tiers des salarié(e)s ne bénéficie pas de toilettes séparées
L’article R4228-10 du code du travail l’indique clairement : « Dans les établissements employant un personnel mixte, les cabinets d’aisance sont séparés pour le personnel féminin et masculin. » Pourtant, plus du tiers (34%) des salarié(e)s interrogé(e)s par l’Ifop disent ne pas disposer de toilettes séparées sur leur lieu de travail. Une réalité subie plus particulièrement par les jeunes (43% des moins de 30 ans disent être dans cette situation), par les ouvriers et employés (37%) ainsi que par les agents de la fonction publique (44%).
Quand l’hygiène laisse à désirer
Séparées ou non, les toilettes des entreprises laissent visiblement à désirer en matière d’hygiène. Plus de la moitié des répondants (55%) les jugent sales, considération partagée de manière identique par les femmes et les hommes. Gent féminine et gent masculine sont également d’accord pour dire que les lieux d’aisance qu’ils fréquentent dans le cadre professionnel ne sont pas assez isolés (45%) ou encore qu’ils sont nauséabonds (43%).
Quant à la pénurie de papier, elle est vécue de façon récurrente par plus du tiers (36%) des salariés Français. Ces derniers sont en revanche moins nombreux – même si le chiffre de 17% reste fort et anormal au XXIe siècle – à déplorer de devoir aller dans des WC peu sûrs, dont les portes ferment mal par exemple. À l’évidence, de gros progrès restent à faire pour offrir à des millions de travailleurs un accès à des toilettes respectant leur dignité et leur intimité.
Une gêne largement partagée
Devoir affronter des toilettes sales, non séparées et mal isolées sur son lieu de travail n’incite guère à s’y rendre l’esprit serein. Surtout lorsqu’il s’agit d’y faire la grosse commission. Il n’est donc pas étonnant de constater que plus d’un(e) salarié(e) sur deux (53%) dit avoir déjà ressenti de la gêne en devant déféquer dans les WC de son entreprise, dont plus du tiers (34%) indique que c’est actuellement le cas.
Cette gêne affecte bien plus les femmes que les hommes. Elles sont en effet 60% à l’avoir déjà ressentie (dont 42% pour lesquelles c’est toujours le cas) contre 44% des hommes (dont 25% actuellement). Les jeunes générations et les salariés précaires sont également les plus concernées par ce sentiment puisqu’il touche 62% des moins de 39 ans et 65% de celles et ceux qui perçoivent entre 900 € et 1 300 € par mois.
Plus de la moitié des femmes sont incapables d’aller à la selle au travail
Lorsque la gêne est trop forte, nombre de personnes se retiennent tout simplement d’aller aux toilettes dans leur entreprise. Ainsi, plus de la moitié des salariées interrogées (53%) se disent incapables d’aller à la selle sur leur lieu de travail quand 30% de leurs homologues masculins agissent de même. Les jeunes femmes semblent être celles qui rencontrent le moins de problème dans ce type de situation : seules 28% des moins de 30 ans indiquent être incapables de déféquer dans le cadre professionnel alors que la proportion grimpe à 69% chez leurs aînées âgées de 40 à 49 ans.
L’étude de l’Ifop montre combien la nature de ce que l’on a à faire aux toilettes de l’entreprise conditionne la propension à se retenir ou non : si 42% des salariés se refusent à aller à la selle, ils ne sont que 7% à éviter d’y uriner. L’effet « poop shaming » joue donc à plein.
Se retenir autant qu’on peut
Que l’on se sente capable ou incapable d’aller à la selle sur son lieu de travail, Dame Nature a parfois des exigences qu’il est difficile, voire impossible, de contenir. Aujourd’hui, moins de la moitié (47%) des salarié(e)s indiquent s’y rendre dès que l’envie se fait sentir. Un chiffre qui masque une nette disparité entre les hommes (57% y vont immédiatement) et les femmes dont un peu plus d’un tiers (38%) fait montre de la même spontanéité.
Mais la moitié des femmes et 36% des hommes déclarent attendre le dernier moment, celui ou se retenir n’est manifestement plus possible, ou bien parviennent à se retenir quoi qu’il arrive. Enfin, il existe une enviable catégorie de personnes pour lesquelles la question ne se pose pas : 9% expliquent ainsi n’avoir jamais vraiment d’aller aux WC sur leur lieu de travail.
Se faire le plus discret possible
Que l’on se sente gêné ou pas, quand l’envie d’aller à la selle devient trop pressante, difficile d’y échapper. Entrent alors en jeu différentes stratégies – appliquées pour au moins l’une d’entre elles par 55% des répondants – afin de rendre le moment le plus discret possible. Premier obstacle : la présence d’un tiers à proximité. Ainsi, 44% des salariés se sont déjà retenus parce qu’un collègue était aux toilettes en même temps qu’eux, et il est arrivé à 40% de renoncer pour cette raison.
Plus du tiers des personnes interrogées par l’Ifop ont déjà fait leurs besoins le plus rapidement possible en espérant faire passer la pause caca pour une simple pause pipi. Quant à celles et ceux qui sont gênés par l’odeur qu’ils sont susceptibles de laisser après leur passage aux toilettes, les plus prévoyants (15% des hommes et 16% des femmes) ont sur eux un spray désodorisant tandis que le fait de craquer une allumette – truc de grand-mère semble-t-il efficace – reste marginal, moins d’un salarié sur 10 l’ayant déjà utilisé.
Les stratégies d’évitement
Pour éviter d’avoir à fréquenter des toilettes trop sales ou de s’y trouver en présence de collègues, plusieurs types de comportements ressortent de l’étude.
L’anticipation. Plus de la moitié des salariés (55% des femmes et 50% des hommes) sont déjà allé aux toilettes à leur domicile juste avant de partir en espérant ne pas avoir envie de s’y rendre sur leur lieu de travail.
Ni vu, ni connu. Se rendre dans d’autres toilettes que celles qui leur sont habituellement réservées réduit pour nombre de salariés le risque d’y croiser un visage connu. 42% des hommes et 29% des femmes ont déjà utilisé cette stratégie.
Prendre l’air. Lorsque cela est possible, plus d’1 salarié sur 5 quitte son lieu de travail pour aller à la selle dans les WC d’un bar ou d’un restaurant par exemple. Une pratique là aussi plus courante chez les hommes que chez les femmes.
Retour à la maison. À condition de ne pas travailler trop loin de chez soi, la solution de rentrer à la maison plus tôt que prévu ou bien durant la pause déjeuner pour déféquer en toute tranquillité a également été testée par 21% des personnes interrogées.
Radical. Plus d’1 salarié sur 10 (11%) n’a pas hésité à prendre des médicaments destinés à freiner le transit intestinal dans l’espoir de ne pas avoir à aller à la selle dans le cadre professionnel. En l’espèce, les hommes (15%) sont presque deux fois plus nombreux que les femmes (8%) à avoir eu recours à cette technique pour le moins radicale.
Au global, près de 7 Français sur 10 (68%), à parité parfaite femme/homme, ont déjà utilisé l’une de ces alternatives pour se tenir à distance des toilettes de l’entreprise dans laquelle ils travaillent.
Enquête menée par l’Ifop pour Diogène France du 18 au 21 avril 2022 par questionnaire auto-administré auprès de 1 003 personnes âgées de 18 ans et plus, représentatives de la population française salariée.