Trophée des plumes 2023 - La somnambule
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Trophée des plumes 2023 - La somnambule

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Description

Dans cette nouvelle estampillée « La somnambule », il est dressé le portrait d’une jeune fille, sans repère, prête à saisir des opportunités avilissantes pour un mieux-être. L’impuissance de sa mère indigente reste palpable. L’appât du gain « facile » qui affleure sans cesse dans une société pervertie semble avoir scellé le destin de la jeune fille. Là où les maux et les vices corrompent la norme.

Informations

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Publié le 07 mai 2023
Nombre de lectures 231
Langue Français

Extrait

LA SOMNAMBULE À la fine pointe de l’aube, Oman Rosalie, manucurée au vernis rouge, porte une tenue des grandes occasions, une camisole marinière en dentelle, une jupe droite maxi en pagne et un pagne habilement plié posé sur une épaule. De sa voix graveavec l’accent digne d’une femme bété, elle appelle son fils. Zimako ! - Oman ! -Viens m’accompagner à la gare.-Oman Rosalie part à Abidjan. Dianel’attend à la grande gare de Gagnoa.Elles s'installent confortablement dans les nouveaux cars de Gôzô Transport. Oman Rosalie grommelle. Le prix des tickets a encore augmenté. Et elle ne comprend pas cette inflation régulière. Dès quele car s’élance,elle s’endort.Diane sourit en la voyant sitôt tombée dans les bras de Morphée. Perdue dans ses pensées à relent de regrets, Diane regarde le paysage, de grandes forêts d’irokosqui séparent les villages, défiler.  Diana. Tu dois continuer tes études. Tu es mon espoir, tudois devenir quelqu’und’important. - Oman, je suis des cours du soir. Je dois me chercher*pour gérer mes charges. Papa n’est plus.Les oncles ont vendu nos -plantations. Tu n’asque ton petit champ au campement pour subvenir à tes besoins. Zimako, le grand frère, notre footballeur a tapé poteau*, son temps est passé. Il sombredans l’alcool, abonné au gbêlêdrome*du village.  Hum ! Comment fais-tu pour vivre? -Diane en sortant de la chambre, lance.  Oman, on est à Abidjan*! -Foulard rouge, que cette innocence garnisse de curiosité ta poésie intérieure Que ces délicieuses formes africaines raffermissent ta confiance en soi Que ce corps musclé impose le respect et que ton verbe soit la couronne de l’estimePour faire de toi, un modèle, un repère qui fait bouger les lignes de l’excellenceTu dors! Oui, tu dors! De ce sommeil de l’ignare dans les mirages de l’obscurantismeJe crois que tu te réveilleras fort, consciencieux des enjeux longtemps minimisés Moi, je veille. Je ne peux m’endormir dans l’effroi du règne de la médiocrité.Diane a rendez-vous avec Marc dans un café à Marcory. Elle le trouve attablé dégustant un cappuccino. Il estsavamment vêtu d’une chemised’une blancheurparadisiaque etd’un pantalon chino kaki. Ses pieds croisés dévoilentses chaussettes d’unjaune clair en révélant la Chelsea boot. Il a fière allure. Elle l’a rencontré au supermarché en faisant ses courses. Ils ont échangé les contactset il avait promis l’appeler.  Bonjour Marc ! -Il se lève pour l’embrasser etlui répond.  Bonjour Di ! -« Il a de bonnes manières » se dit intérieurement Diane. Marc interpelle le serveur.  Jeune homme! Qu’est ce qu’on te sert, ma très chère? Il lui pose la question en plongeant son regard dans le sien. Diane -répond un peu hébétée.  Un chocolat chauds’il te plaît.-Le service fait. Marc la dévisage au point de la gêner.  Pourquoi me regardes-tu ainsi ? - Tu es si belle! Je veux que tu sois mienne. -Ce compliment ponctué de ce désir laisse Diane pantelante. Dans un grand sourire, elle se reprend. Tu as l’air de savoir ce que tu veux.- On fera des affaires qui te rapporteront gros. - Quelles affaires ? - Vendre tes charmes à de gros bonnets ! -Diane manque de renverser sa tasse de chocolat.  Quoi ? Pour qui me prends-tu ? - Pour une jeune femme ambitieuse ! Ou me suis-je trompé? - Tu me parles de prostitution. - Oh ! Sois zen !Ce n’est qu’un mot.En me désirant, moi, je coucherai avec toi gratuitement ? -Ne résume pas tout à l’argent, s’il te plaît! - Pourtant ce qui nous réunit ici se résume à cela. Ce week-end nous avons une sortie à Boumini dans un chalet en bordure -de mer. Réfléchis et fais moi signe jeudi prochain si tu es partante. Là, je dois partir, j’ai rendez-vous avec mon médecin. Je règle la note. Il pose une enveloppe sur la table avec un sourire narquois.  Prends cela pour ton taxi ! -Dans le taxi,Diane s’empresse de vérifier l’enveloppe. Ses yeux s’illuminent. Trois cent mille francs CFA, juste pour une causette de trente minutes. Chauffeur, s’il te plaît, je changede destination. Je fais un tour au centre commercial Ziri. - Ça roule, la hèmère*! -Diane rentre avec ses courses à la maison en fredonnant sa chanson préférée. « No, woman, no cry » de Bob Marley et les Wailers. En l’entendant, Oman Rosalie s’esclaffe. Es-tu sûre que tu chantes en anglais ? - Eh Oman! Si tu doutes, c’est qu’il y a problème! - Tu vis bien, ma fille. Mais dis-moi, que fais-tu pour acheter tout ça, payer ton loyer et gérer toutes ces charges ? - Oman, on est déjà né*. Ta fille fait des affaires et bientôt ça ira mieux. -
 Hum ! Soupire Oman Rosalie inquiète. -Dès le moment où Diane a vule contenu de l’enveloppe, sa réponse était trouvée. Allô Marc, je suis partante. -Des gémissements à cadences régulières attirent mon attention. Que fais-tu, Beauté? Pourquoi t’accommodes-tu d’un tel amour. Réduite à une marchandise d’échange à consommer sans respect. Incapable de chasteté, tu marmonnes « liberté» dans un sommeil éthylique. Beauté, tu dors! Juvénilité! Ces émotions fugaces ne te rendront pas heureuse. Et là, je veille et je lutterai pour te sortir de cet enfermement lamentable. Le vendredi après-midi, Marc passe chez Diane et ils partent pour Boumini. Deux autres jeunes filles sont assises sur la banquette arrière, Soraya et Nadine. Les présentations faites, la conversations’engage.Après deux heures de route, le chalet apparaît comme dans un rêve. La façade baroque est impressionnante. Un grand portail de bois somptueusement sculptés’ouvre. Un immense jardin luxuriant bordé de fleurs, un imposant hangar décoré de masques et de meubles artisanaux invitent àl’évasion. Un grand barbecue devant lequel des cuisiniers en vestes de cuisine, blouses, tabliers, toques et calotss’affairent. La piscine avecdeux transats disposés de part et d’autre, et une idyllique plage privée paraissent comme une parenthèse douceur. Marc les installe dans une chambre et il part dans ses quartiers. Il y a trois grands lits dans la chambre. Diane tout émerveillée saute sur un lit.  Êtes-vous déjà venues ici ? Comment ça se passe ?Vous donnez l’impression de bien connaître Marc.-Soraya sourit en nouant sa serviette à la hanche.  Oui ! Ici,c’est la deuxième fois! Il y a trois autres filles qui sont déjà là. Elles sont arrivées plus tôt car on a fait un détour -chez toi. Les clients viendront demain. Ne t’inquiète pas, amuse-toi, prends du bon temps et jouis de la vie. Marc, on le connaît bien. Nadine, le visage sombre reprend.  Moi, je travaille avec Marc depuis deux ans. Avec Maï, ma bestie*, nous avons fait des économies pourvoyager mais c’est -difficile d’avoir un visa de la France.Nous avons été grugées. Maï ne voulait plus continuer avec Marc. Elle était obsédée par la France, elle est passée par la Tunisie etelle s’est noyée lors de la traverséedans la méditerranée.  Rabat-joie, va, crie Soraya.Chacune a ses ambitions, Maï nous manque mais on doit aller de l’avant.Di, amuse-toi, lâche--toi et tu auras un bonus. Cette nuit, les filles font connaissance avec Diane au cours du dîner en buvant du vin et en dansant. Un feu de camp illumine la nuit sur la plage. Tout est émerveillement. Marc distribuede l’herbe, des pilules et de la poudre.  Fume un joint et prends cette pilule pour te détendre. -Diane refuse.  Je ne fume pas. -Di, ce n’était pas une question.-Diane s’exécute. L’atmosphère est de plus en plus détendue.Diane est étourdie et elle rentre se vautrer dans le lit. Je vois, Lilas se planter dans ce sable mouvant del’euphorieUn sable mouvant bleu et blanc recouvert d’herbes séchéesJe crie mais tu dors, une fumée s’échappe de tes narinesTa bouche est pleine de bleu et ton nez de blanc. L’engrenage risque d’être fatal, tu dois te réveiller.Lilas, fleur des premiersémois, tu dois t’épanouirCar je veille et je veillerai pour te sortir de cette dépendance Le matin, six hommes en bermuda sont assis sous le majestueux hangar dégustant du champagne, les filles les rejoignent. L’arôme des cigares embaumel’espace. Marcles présente aux hommeset l’orgie commence.Les filles défilent dans les différentes chambres. Marc veille à ce que toutes les filles sniffent la poudre. Dianese limite à fumer l’herbe.Mais Marc est satisfait car elles’est dénudée les seins et elle est simplement vêtued’un string blanc. Son corps parfaitdes courbes à faire pâlir un aveugle au toucher avec hypnotisel’assistance. Elle joue de son charme à la perfection. Quelques heures plus tard, Marc la voit chevaucher un des hommes sur la plage. Un deuxième les rejoint et elles’adonne au jeu à cœur joie. Le dimanche midi, les filles rentrent à Abidjan. Et Marc leur remet une enveloppe à chacune. Diane reçoit deux enveloppes. Rentrée, elle va dans la chambre après avoir embrassé Oman Rosalie au séjour. Elle compte huit cent mille francs dans une enveloppe et cinq cent millefrancs dans l’autre.Diane explose de joie. Diana, qu’est ce qu’il y a? - Une bonne nouvelle, Oman! J’ai eu unebonne proposition de travail.Demain matin, j’iraiau marché. Et je te concocterai -un bon plat de kédjénou* de pintade.  Je te bénis, ma fille. -Marc programme Diane tous les week-ends depuis ses débuts, il y a huit mois. Elle refait régulièrement sa garde-robe pour mieux séduire et se mettre à niveau de la clientèle. Marc lui a dit que son ancienne garde-robe était de mauvais goût. Chaque trimestre, Oman Rosalie rend visite à sa fille. Cette fois, en rentrant au village, elle exhorte Diane à reprendre les cours.  Diana, tes affaires marchent bien. Je ne cesserai de te bénir, tu aides la famille, je suis fière de toi. Tu as rénové la maison -du village. Tu as acheté un tricycle à ton frère aîné Zimako pour le transport au village, pour moi, une parcelle de deux hectares.Gnian Marguerite s’en est occupée, aujourd’hui, je vais vendre la récolted’un hectare.C’est bien maispense à demain et inscris-toi dans une grande écolepour avoir un niveau d’étudehonorable. Oman, on va à l’école pour gagner de l’argent, si j’en gagne déjà, pourquoi me fatiguer? - Hum! -Ô jeunesse dorée, porteuse de nouvellestendances, d’espoir. Chemises blanches, nouveaux marqueurs d’une société de flux.
Lève-toi ! Mais pourquoi fais-tu si tôt le deuil de ton avenir? Quelle désillusion! Tu marches absurdement dans les méandres des futilités et de la médiocrité. Ces boniments déboulonnés entretiennent ton somnambulisme. Je dois continuer de veiller pour te sortir de cette vertigineuse léthargie sociale. Diane déménage dans un quartier huppé. Elle réside en colocation avec Soraya dans une villa de haut standing. Les nuits, Diane arpente les bars et sa réputation généreuse la précède. Soraya en pleurs crie :  Di ! Viens vite ! -Qu’est ce qu’il y a? - Je viens de recevoir un coup de fil. Marc est décédé ! - Quoi ? Oh mon Dieu ! Non !Ce n’est pas vrai.- Di, nous sommes foutues ! -Les obsèques de Marc se déroulentdans la stricte intimité familiale. Les filles n’ont pu se rendre qu’au domiciledu défunt pour la présentation de condoléances. Soraya et Diane essaient de maintenir le cap avec certains clients quiles visitent chez elles mais le cachet n’est plus à la hauteur des week-ends de Marc. Elles se privent pour maintenir ce niveau de vie.  Di, je rentre en famille à Yopougon. Ces charges locatives excessives épuisent mes économies.J’ai besoin d’investir dans -une petite activité à revenu régulier pour tenir sur le long terme.  Tu as raison, mais où irai-je ? Il me faudra au moins six cents milles francs pour avoir un studio .C’esténorme actuellement. -Bon ! Quand pars-tu ?  La semaine prochaine mais, je paierai le loyer de ce mois. -Ok ma sœur! On doit libérer la villa. Sans préavis, le loyer du mois prochain sera pris dans la caution. Et le deuxième mois -de caution servira à faire les travaux de remise en état. Il ne restera pas grand-chose. Je préviens le propriétaire. Diane ne dort pas cette nuit. Que fera-t-elle ?  Di! Soraya toque la porte de la chambre de Diane. Di, s’il te plaît, jedois sortir.J’ai besoinde ton sac rouge. -Personne ne répond. Soraya ouvre la porte et elle voit Diane inanimée, la bouche dégoulinante de salive et de vomissures. Soraya affolée, la bouscule.  Di ! Di ! -Nihiliste, tu dors! Quelle trace laisses-tu ? Tu abandonnes, sacrifié! Moi, je veille. Objecteur ou éveilleur de conscience, je reste débout. Matin d’une vie, tu flirteras avec mon intellect. Ton réveil n’est pas utopique.Je veille, je critique pour construire, je propose pour avancer hautement Et je discute pour comprendre les maux par les mots avec véhémence Je veille pour accompagner lucidement une transition d’opportunités créativesTu dors! N’entends-tu pas l’assourdissant hurlement de l’épître aux jeunes?Le SAMU intervient de justesse. Diane fait une overdose de pilules bleues. Soraya se rappelle des pilules que Marc leur donnait. Elle joint Oman Rosalie au village, qui ne peut êtreau CHU d’Angréque le lendemain matin. À sa sortie del’hôpital,elles organisent le déménagement et elles font les cartons. Oman Rosalie propose de louer une villa à Gagnoa pour que Diane aménage etqu’elle projette une activité.Le coût de location d’une villaà Gagnoa est relativement moins cherqu’à Abidjan. Deux mois après le déménagement, Diane appelle Oman Rosalie. Oman, viens demain matin pour qu’on aille faire des courses à Abidjan. Je t’avais parlé de mon projet de crèche dans ma -maison. Des commandes ont été livrées. Maintenant, je dois me rendre à Abidjan. Le convoyeur de Gôzô Transport hurle :  Terminus Adjamé ! -Ce hurlement tire Diane de ses souvenirs. Elle sourit en regardant Oman Rosalie encore endormie.  Oman, nous sommes arrivées. - Dieu merci, ma fille. -En descendant du car, le téléphone de Diane sonne.  Moi, je ne décroche pas mon téléphone à Adjamé, je ne sais pas courir. - Attendlorsqu’on sera dans le taxi, tu rappelleras.-Dans le taxi, les vitres montées et les portières verrouillées, Diane rappelle : « Allô ! »  Allô ! Bonjour Di, susurre une voix chaude. -Ce n’estque dans LE milieu qu’on la prénomme ainsi. Prudente, elle répond.  Bonjour monsieur ! - Je suis Brandy, un collègue de Marc. Mes filles sonten mission à Bora Bora pour un mois. J’aibesoin de toi. Tum’avais -été vivement recommandée par Marc. Je te paierai le double de ce que tu percevais avec lui. FIN Se chercher : se débrouiller. On est à Abidjan : À Abidjan, tout est permispour s’ensortir. Taper poteau : échouer. Gbêlêdrome :bistrot de consommation du “gbêlê’’, liqueur locale à la portée de toutes les bourses. La hèmère : la vieille mère, la dame pour signe de respect. On est déjà né :on n’apas le choix, on doit allerde l’avant. Ma bestie : ma meilleure amie. Kédjénou : soupe épicée.
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