Loi contre le terrorisme au Sénégal : pourquoi c'est si controversé ?

Macky Sall président du Sénégal

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Au Sénégal, l'Assemblée nationale a adopté vendredi deux projets de lois portant modification du code pénal et du code de procédure pénale visant à renforcer la lutte contre le terrorisme, selon les autorités.

Mais l'opposition, réunie au sein du Mouvement pour la défense de la démocratie, crie au loup et dénonce des dispositions liberticides. Plusieurs activistes et politiques ont été brièvement arrêtés puis relaxés. Pourquoi ces modifications sont-elles si controversées ?

Le ministre sénégalais de la Justice, Malick Sall, justifie devant les parlementaires ces nouvelles lois par le fait qu'elles permettent de lutter plus efficacement contre le terrorisme.

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Des innovations, selon le ministre.

Malick Sall estime que la loi fixe un régime général de la responsabilité pénale des personnes morales, ainsi que la refonte du régime général de la responsabilité pénale des personnes morales".

"C'est fait juste pour lutter efficacement contre le terrorisme sous toutes ses formes, y compris certaines infractions commises en bande organisée et toute autre forme d'économie parallèle", précise le ministre.

Répondant aux accusations de l'opposition, il indique que l'article 279 du code pénal qui définit le terrorisme n'est pas concerné par les deux projets de lois.

Modifié en 2016, l'article 279 du code pénal stipule que «toute personne qui recrute une autre personne pour faire partie d'un groupe ou pour participer à la commission d'un acte terroriste, est punie de la peine des travaux forcés à perpétuité».

Pourquoi l'opposition dénonce cette loi ?

L'homme politique sénégalais Thierno Bocoum déclare à BBC Afrique que le régime de Macky Sall « s'est encore signalé par le forcing et la manipulation dans cette affaire».

«Avec cette loi, le pouvoir a tenté de couvrir un mal par un bien en mettant en exergue la lutte contre le piratage maritime, le terrorisme et des actes assimilés. Là n'est évidemment pas la question. Les risques d'interprétation subjectives basées sur l'élément intentionnel de l'infraction constitue le véritable danger », déplore M. Bocoum, leader du mouvement Alliance générationnelle pour les intérêts de la République (Agir).

L'ancien parlementaire Cheikhou Oumar Sy souligne que la loi vise plus à neutraliser l'opposition qu'à se battre contre le terrorisme.

« Lors des interventions des parlementaires de la majorité, il était plus question des événements du 3 au 5 février que de combattre le terrorisme. Il faut se rappeler que le président avait dit lors de la concertation avec les jeunes que de tels événements ne se reproduiront plus. Ce qui fait que pour beaucoup cette loi est donc une réponse aux événements du 3 au 5 Mars 2021 », déclare Cheikh Oumar Sy, ancien parlementaire et président de l'Observatoire de suivi des indicateurs de développement économique en Afrique (OSIDEA).

En mars 2021, l'opposant Ousmane Sonko, accusé de viols et de menaces de morts sur une masseuse de 20 ans, était arrêté en route pour le tribunal de Dakar où il devait répondre à un juge. Il avait nié les faits.

Des manifestations s'en sont suivies et au moins 14 personnes sont décédés, selon les autorités.

Plusieurs enseignes françaises comme Total et Auchan ont subi des dommages importants après leur mise à sac par les manifestants.

Le 3ème mandat en ligne de mire ?

Depuis la dernière présidentielle au Sénégal, le 3ème mandat est au cœur de tous les débats. Le principal concerné, Macky Sall, ne s'est pas clairement exprimé sur le sujet.

Interpellé sur ses intentions de vouloir briguer ou non un troisième mandat lors d'un entretien avec la presse à la veille du nouvel an 2020, il a dit : « ma réponse ne sera ni oui, ni non ».

«L'un des plus grands dilemmes que le Sénégal est en train de vivre est le ni oui ni non du président Macky Sall sur la question du 3ème mandat. On ne sait pas s'il sera candidat ou non en 2024 pour une troisième candidature à laquelle la constitution ne lui donne pas droit. Nous vivons actuellement une tension politique et sociale permanente » explique M. Sy.

D'après lui, cette loi adoptée peut lui permettre de mieux réprimer les manifestations et le terrorisme devient ainsi une épée de Damoclés sur la tête de l'opposition.

Point de vue d'un juriste

Me Doudou Ndoye, avocat sénégalais

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Doudou Ndoye, ancien ministre de la Justice et avocat, estime que dans cette loi "il y a des dispositions qui luttent contre le terrorisme, mais il y a des dispositions qui luttent contre les Sénégalais »

"Cette loi vous laisse le droit de manifester et vous met en prison. Cette loi a défini la notion de terrorisme dans l'article 279-1 lorsque vous accomplissez un certain nombre d'actes (16 actes ). Et dans les actes, il y a des sous actes aussi, donc il y a environs 40 à 50 catégories qui se trouvent dans le 279-1. Chaque chose qui se fait et qui ressemble aux éléments qui se trouve dans l'intitulé de l'article 279-1 constitue un acte de terrorisme et puni d'une peine perpétuelle", déclare -t-il dans un entretien avec la 2STV, une télévision privée sénégalaise.