Communiqué de presse: 27 février 2007

ICC - Remarques introductives du Procureur

ICC-OTP-20070227-208

Communiqué de presse


Remarques introductives du Procureur

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Situation: Darfour, Soudan

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Au cours des 20 derniers mois, l’Accusation a mené une enquête sur des crimes qui auraient été commis au Darfour. Nous avons terminé les mesures d’enquête nécessaires et avons présenté, ce matin, les éléments de preuve aux juges.

Tout au long de l’enquête, notre Bureau a procédé à un examen approfondi des faits à charge et à décharge de manière indépendante et impartiale, comme le prévoit le Statut de Rome. L’enquête a été très compliquée.

Établir le contact avec les victimes constituait la priorité de notre Bureau. Parce qu’il est de notre devoir de protéger les victimes et les témoins, nous avons pris leur déposition en dehors du Darfour. Il était impossible de protéger les témoins au Darfour. Nous avons pris la déposition de témoins dans le monde entier, allant trouver ces personnes dans 17 pays et recueillant près d’une centaine de déclarations.

L’enquête a grandement profité des documents recueillis par la Commission internationale d’enquête des Nations Unies. Nous sommes très reconnaissants de ses efforts.

Au cours de notre enquête, nous avons également rassemblé et examiné des documents issus de la Commission nationale d’enquête soudanaise. Il est intéressant de noter que beaucoup de conclusions concordaient avec les conclusions de la Commission internationale d’enquête des Nations Unies. Nous avons étudié un rapport du Ministre de la Défense soudanais et obtenu des renseignements auprès de hauts fonctionnaires soudanais.

Conformément au Statut de Rome, notre Bureau a concentré ses efforts sur certains des incidents les plus graves et sur les personnes qui, selon les éléments de preuve recueillis, en portent la responsabilité la plus lourde. 

L’Accusation a déterminé qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’Ahmad Muhammad HARUN et Ali Muhammad Ali ABD-AL-RAHMAN (plus connu sous le nom d’Ali KUSHAYB), portent la responsabilité pénale en ce qui concerne 51 chefs d’accusation de crimes présumés contre l’humanité et de crimes de guerre.

Ces crimes présumés ont été commis au cours d’attaques menées contre le village de Kodoom et les villes de Bindisi, de Mukjar et d’Arawala au Darfour-Ouest entre août 2003 et mars 2004.

Les attaques se sont produites au cours d’un conflit armé non international entre le Gouvernement soudanais et les forces rebelles armées, y compris l’Armée/Mouvement de libération du Soudan et le Mouvement pour la justice et l’égalité. Le conflit a connu des attaques rebelles sur des installations du Gouvernement soudanais au Darfour et une campagne contre-insurrectionnelle organisée par le Gouvernement soudanais

En avril 2003, les rebelles ont lancé une attaque contre l’aéroport d’El Fasher au Darfour-Nord, détruisant des avions, tuant un certain nombre de militaires et kidnappant le commandant de l’Armée de l’air soudanaise. Cela a marqué un tournant dans le conflit. Après cela, Ahmad HARUN a été nommé Ministre délégué chargé de l’Intérieur au Gouvernement soudanais et a été chargé de diriger le « bureau de sécurité du Darfour ». Son poste à la tête du « bureau de sécurité du Darfour » est devenu décisif. Pourquoi ?  Les Comités de sécurité des Localités et des États au Darfour dépendaient de lui, en particulier en ce qui concerne les questions relatives aux effectifs, au financement et à l’armement des Milices/Janjaouid. Les Comités de sécurité étaient composés de représentants des Forces armées soudanaises, des services de police et des services de renseignements ainsi que les Gouverneurs de chaque État.

Peu de temps après la nomination d’Ahmad Harun, le recrutement des Milices/Janjaouid, a considérablement augmenté pour en arriver à des dizaines de milliers de personnes.  

La grande majorité des attaques au Darfour ont été menées par les Milices/Janjaouid et les Forces armées et ont été dirigées sur des régions habitées principalement par les tribus des Four, des Masalit et des Zaghawa. Les assaillants ne visaient aucune présence rebelle. Ils visaient plutôt les habitants civils au motif qu’ils soutenaient les forces rebelles.

Cette stratégie a servi à justifier les massacres, les exécutions sommaires et les viols en masse de civils dont on savait qu’ils ne prenaient part à aucun conflit armé. Cette stratégie comprenait le déplacement forcé de villages et de communautés dans leur ensemble.

Dans ce contexte, Ahmad HARUN et Ali KUSHAYB, ont agi de concert, et en collaboration avec d’autres, en poursuivant l’objectif commun de mener des attaques contre les populations civiles de ces quatre villes et villages. 

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J’ai présenté aux juges un document d’une centaine de pages contenant mes éléments de preuve. Permettez-moi d’en résumer quelques uns.

Les éléments de preuve indiquent qu’Ahmad Harun se rendait régulièrement au Darfour et s’est fait connaître par la population au Darfour comme étant le fonctionnaire de Khartoum qui recrutait, armait et finançait les Milices/Janjaouid au Darfour.

Les éléments de preuve montrent qu’Ahmad HARUN a également apporté des fonds aux Milices/Janjaouid puisant dans un budget qui était sans limite et qui n’était pas vérifié publiquement. Les Milices/Janjaouid étaient payées en argent liquide et Ahmad HARUN a été aperçu en train de voyager avec des caisses bien gardées.

Les éléments de preuve mettent en évidence le fait qu’Ahmad HARUN a personnellement livré des armes aux Milices/Janjaouid au Darfour. Il a été aperçu à bord d’avions chargés de fournitures d’armes et de munitions, dans certains cas, des G-3 et des fusils d’assaut Kalachnikov. Ces déchargements ont été observés dans les trois États du Darfour, le Darfour-Nord, le Darfour-Ouest et le Darfour-Sud.

Les éléments de preuve indiquent qu’Ahmad HARUN a incité les Milices/Janjaouid à attaquer les populations four, zaghawa et masalit. Laissez-moi vous donner un exemple. Début août 2003, Ahmad HARUN est arrivé par hélicoptère dans la ville de Mukjar alors que les Milices/Janjaouid placées sous le commandement d’Ali KUSHAYB entraient dans la ville. Ahmad HARUN s’est entretenu en privé avec Ali KUSHAYB puis a fait une déclaration publique. Il a affirmé que « puisque les enfants des Four étaient devenus des rebelles, tous les Four et ce qu’ils possédaient, étaient devenus des  prises de guerre » pour les Milices/Janjaouid. Juste après son départ, les Milices/Janjaouid ont pillé la ville toute entière.

Lorsque les victimes des pillages se sont plaints, on leur a dit que les Milices « pouvaient faire ce qu’elles voulaient » parce « qu’elles agissaient sur les ordres du Ministre délégué ».

Les éléments de preuve montrent qu’au cours d’une réunion publique, Ahmad HARUN a déclaré qu’en étant nommé à la tête du « bureau de sécurité du Darfour », il lui avait été donné toute la latitude et l’autorité pour tuer ou pardonner qui que ce soit au Darfour au nom de la paix et de la sécurité.

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Permettez-moi de vous donner quelques informations au sujet d’Ali Kushayb. Ali KUSHAYB a dirigé personnellement des attaques contre ces quatre villages et villes. Mi-2003, il commandait des milliers de Milices/Janjaouid.

Au cours de l’une des attaques dans la région de Kodoom en août 2003, Ali KUSHAYB a été aperçu donnant des instructions aux Milices/Janjaouid. Des civils essuyaient des tirs alors qu’ils prenaient la fuite.

Au cours de l’attaque contre Bindisi le 15 août 2003 ou aux alentours de cette date, Ali KUSHAYB a été aperçu portant un uniforme militaire et donnant des ordres. Ses forces ont pillé et brûlé des foyers et des magasins. L’attaque contre Bindisi a duré environ cinq jours et s’est soldée par la destruction de la majeure partie de la ville et la mort de plus d’une centaine de civils, y compris une trentaine d’enfants.

Les éléments de preuve indiquent qu’à Arawala, en décembre 2003, Ali KUSHAYB a personnellement passé en revue un groupe de femmes nues avant qu’elles ne soient violées par des hommes portant des uniformes militaires. Un témoin a déclaré qu’elle et les autres femmes ont été attachées aux arbres et violées à de multiples reprises.

Les éléments de preuve montrent qu’Ali KUSHAYB a personnellement pris part à un certain nombre d’exécutions sommaires. Par exemple, en mars 2004 ou aux alentours de cette date, il a participé à l’exécution d’au moins 32 hommes de Mukjar. Les éléments de preuve mettent en évidence qu’Ali KUSHAYB frappait ces hommes alors qu’on les faisait monter dans des Land Cruisers. Puis, les voitures sont parties avec Ali KUSHAYB à bord de l’une d’entre elle. Un quart d’heure plus tard environ, des tirs ont été entendus et le jour suivant, 32 corps ont été retrouvés dans les fourrés.

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En nous appuyant sur les éléments de preuve que l’Accusation a recueillis, nous estimons qu’Ali KUSHAYB et Ahmad HARUN figurent parmi les principaux responsables des crimes commis au Darfour. 

Nos éléments de preuve indiquent qu’ils ont commis des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, y compris le viol et d’autres formes de violences sexuelles, le meurtre, la persécution, la torture, le transfert forcé, la destruction de biens, le pillage, les actes inhumains, les atteintes à la dignité de la personne et la privation grave de liberté.

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J’aimerais ajouter quelques mots au sujet de la recevabilité de l’affaire. Au regard du Statut de Rome, j’ai le devoir d’évaluer si les autorités judiciaires soudanaises ont enquêté sur la même affaire ou intenté des poursuites à ce propos. Notre Bureau a mené 5 missions à Khartoum où nous avons recueilli des informations se rapportant aux procédures nationales auprès des autorités judiciaires, des services de police et d’autres ministères.

Le Gouvernement soudanais a informé l’Accusation qu’Ali KUSHAYB fait l’objet d’une enquête criminelle et qu’il a été arrêté le 28 novembre 2006.

Notre procédure concerne la collaboration entre Ahmad Harun et Ali Kushayb afin d’attaquer la population civile au Darfour. Une telle enquête n’existe pas au Soudan.

L’Accusation a conclu sur cette base que l’affaire est recevable. Je tiens à préciser que l’analyse de la recevabilité ne constitue pas un jugement du système judiciaire soudanais dans son ensemble. Nous examinons seulement si les autorités soudanaises s’occupent de la même affaire.

La Chambre préliminaire I examinera les éléments de preuve. Si les juges considèrent qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les personnes citées ont commis les crimes exposés, ils détermineront comment garantir leur comparution devant la Cour.

                                                                 *   *   *   *   *

Quelques remarques pour conclure.

Des milliers de civils ont péri au Darfour suite aux violences directes ou aux maladies, à la famine et aux conditions de vie qui ont découlé de ces crimes. Le viol est très répandu. On compte plus de deux millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays et plus de deux cent mille réfugiés suite au conflit.

Nos éléments de preuve exposent les faits ainsi que la souffrance des victimes au Darfour tels que les ont relatés les témoins que nous avons interrogés. Nous avons monté une enquête judiciaire en nous appuyant sur ce qu’ils nous ont raconté pour dévoiler la vérité, poursuivre les principaux responsables et contribuer à prévenir la commission de futurs crimes.

Le Bureau continue de réunir des informations à propos des crimes actuels commis par toutes les parties au Darfour et surveille les actes de violence qui débordent sur le Tchad, y compris dans les camps de réfugiés, et sur la République centrafricaine, qui figurent tous deux parmi les États parties au Statut de Rome.

Notre travail envoie un message : ceux qui commettent des atrocités ne peuvent pas le faire en toute impunité.

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Source: Bureau du Procureur

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